Quinze ans. Cela fait quinze ans qu’un homme croupit en prison pour un crime qu’il ne pouvait matériellement pas commettre. L’affaire Pierre Urbain Dangnivo, du nom de ce cadre du ministère des Finances mystérieusement disparu en août 2010, est peut-être l’un des plus grands scandales judiciaires de l’ère Boni Yayi. Et pourtant, l’absurdité du dossier n’a pas empêché l’État de broyer une vie.
Codjo Alofa, principal accusé, était déjà en détention au moment des faits. C’est un détail, me direz-vous ? Non, c’est un point fondamental qui rend cette affaire grotesque. Comment un homme qui se trouvait en prison dès le 16 août aurait-il pu tuer quelqu’un dans la nuit du 17 au 18 ? Un miracle criminel ? Une erreur judiciaire monumentale ? Ou pire… une manipulation d’État ?
Un coupable désigné d’avance
Reprenons. En 2010, le régime de Boni Yayi est fragilisé. L’affaire Dangnivo éclate, et l’opinion s’agite. Le pouvoir se retrouve acculé, pressé d’apporter des réponses. C’est alors qu’émerge le nom de Codjo Alofa. À partir de là, tout s’enchaîne : une arrestation, des aveux obtenus dans des conditions discutables, une prétendue évasion suivie d’un retour volontaire à la police… Un scénario tellement cousu de fil blanc qu’il en devient ridicule.
Le plus troublant dans cette affaire, c’est que, dès le départ, certains savaient. Ils savaient qu’Alofa ne pouvait être coupable. Ils savaient que les preuves étaient bancales. Ils savaient que les aveux avaient été extorqués. Et pourtant, la machine judiciaire a avancé, implacable, refusant d’entendre l’évidence.
Boni Yayi, informé ou manipulateur ?
C’est là que le doute s’installe. Un doute légitime, troublant, dérangeant. Car enfin, comment un président aussi interventionniste que Boni Yayi aurait-il pu ignorer la supercherie ? Lui, qui voulait tout contrôler, n’aurait-il pas eu vent des irrégularités criantes de cette affaire ?
Trois possibilités se dessinent alors :
1.L’aveuglement volontaire : Trop pressé de calmer l’opinion, Yayi aurait fermé les yeux sur les incohérences, laissant faire une justice aux ordres.
2.L’instrumentalisation judiciaire : Si Codjo Alofa a été désigné coupable, c’est peut-être parce qu’il servait d’écran de fumée. Était-il un bouc émissaire commode pour dissimuler les vrais responsables ?
3.L’ignorance invraisemblable : Peut-on réellement croire que Boni Yayi, chef d’État omniprésent, n’ait jamais posé de questions sur ce dossier si sensible ?
Dans tous les cas, le constat est accablant : soit l’ex-président a couvert une injustice, soit il a laissé faire, soit il en était l’architecte. Quelle que soit la vérité, elle n’est pas à l’honneur de son régime.
Le temps de la réparation
Aujourd’hui, la justice béninoise est face à un dilemme. Maintenir Codjo Alofa en prison, c’est assumer jusqu’au bout une erreur judiciaire flagrante et continuer à piétiner l’État de droit. Le libérer, c’est reconnaître que, pendant quinze ans, on a menti, manipulé et sacrifié un homme.
Il est temps d’en finir avec cette mascarade. Il est temps de rendre justice, non seulement à Alofa, mais aussi à tous ceux qui, un jour, pourraient être broyés par un système qui a déjà prouvé qu’il pouvait sacrifier l’innocence sur l’autel de la raison d’État.
Le vrai procès à venir n’est peut-être pas celui de Codjo Alofa, mais celui d’un pouvoir qui a permis qu’un tel scandale se produise.